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Fracture bolivarienne
Bolivaria frakturo

Entre les quartiers populaires de Caracas et ceux des classes moyennes se dresse un mur d'incompréhension. Cadeau de Dieu pour les pauvres et dictateur pour les riches, le président Hugo Chávez et ses politiques déchirent le Venezuela.

Un minuscule abri pas plus grand qu'une voiture, fait de bois pourri et recouvert de tôle, voilà la maison de Pedro Medina. Les murs bougent quand le vent les frappe et la pluie trouve son chemin jusque dans son lit. "Ce n'est pas très grave, dit-il. Bien entendu, je ne vis pas dans le luxe, mais je suis très fier. J'ai tout bâti moi-même." Dans ce barrio, les cabanes accrochées à flanc de montagne n'ont ni électricité ni eau courante. Afin de boire et de faire sa toilette, l'homme de 31 ans doit grimper l'escarpement chargé de bidons vides qu'il rapportera remplis d'une eau brouillée. Nous sommes à Caracas, capitale du Venezuela, un pays riche des plus grandes réserves de pétrole de la planète.

Inter la popolaj kvartaloj de Karakaso kaj tiuj de la mezaj klasoj staras muro de nekomprenado. Dono de Dio laŭ la malriĉuloj kaj diktatoro laŭ la riĉuloj, la prezidento Hugo Chávez kaj liaj politikoj disŝiras Venezuelon.

Eta ŝirmejo ne pli granda ol aŭto, farita el ligno kaj kovrita per lado, jen la domo de Pedro Medina. La muroj moviĝas kiam la vento ilin frapas kaj la pluvo trovas sian vojon ĝis lia lito. "Ne tre gravas, li diras. Certe ja, mi ne lukse vivas, sed mi tre fieras. Ĉion mi mem konstruis." En tiu barrio, la kabanoj montflanke alkroĉitaj havas nek elektron nek fluantan akvon. Por trinki kaj tualeti, la 31-jara viro devas grimpi la krutaĵon ŝarĝite per malplenaj pelvoj, kiujn li realportos plenitajn de malklara akvo. Ni estas en Karakaso, ĉefurbo de Venezuelo, lando riĉa je la plej grandaj rezervoj de nafto sur la tuta planedo.

Dans les faubourgs de Caracas. Les cabanes accrochées à flanc de montagne n'ont ni électricité ni eau courante (Crédits photographiques : Fred Miranda)

Vingt-six millions de personnes, en grande majorité métis indiens-européens, peuplent la république bolivarienne du Venezuela. 33 % d'entre eux ont moins de 15 ans. 9 habitants sur 10 vivent en ville, 1 sur 3 vit avec moins de 2 dollars par jour. Les 20 % les plus aisés détiennent plus de 50 % des richesses, les 10 % les plus pauvres s'en partagent 0,6 %. Le secteur pétrolier représente 50 % du PIB, 50 % des rentrées fiscales et 80 % des exportations du pays.

Pauvreté. Comme des millions de Vénézuéliens, Pedro Medina attend beaucoup du président Hugo Chávez et de sa "révolution bolivarienne" : "Avant qu'il prenne le pouvoir, c'était terrible. Le gouvernement ne s'occupait pas de nous, alors que maintenant, si." Quand Pedro dit "nous", il pense aux 10 millions de Vénézueliens qui, selon l'UNICEF, vivent dans une pauvreté extrême.

Dans l'est de Caracas, les barrios s'enchaînent sur les coteaux et risquent d'être emportés par les fréquents glissements de terrain. Dans cette partie de la ville, l'appui à la révolution bolivarienne est visible aux fresques à la gloire du régime ornant les murs en parpaings. Emplois gouvernementaux, dispensaires de santé, alphabétisation, le gouvernement d'Hugo Chávez a mis en place des infrastructures jusqu'alors inconnues dans les quartiers les plus pauvres.

Mizero. Kiel milionoj da Venezuelanoj, Pedro Medina atendas multon de la prezidento Hugo Chávez kaj de lia "bolivaria revolucio": "Antaŭ ol li prenis la povon, teruris. La registaro ne prizorgis nin, kvankam hodiaŭ, jes ja." Kiam Pedro diras "ni", li pensas pri la 10 milionoj da Venezuelanoj, kiuj, laŭ UNICEF (Internacia Geknaba Kriza Fonduso de la Unuigintaj Nacioj), vivas en ekstrema mizero.

Oriente de Karakaso, la barrios sinsekviĝas sur la montdeklivoj kaj riskas englutiĝi pro la oftaj terglitoj. En tiu urbparto, la subteno al la bolivaria revolucio estas videbla pro la freskoj glorantaj la reĝimon, kiuj ornamas la betonbrikajn murojn. Ŝtatoficistajn postenojn, dispensariojn, legpovigon, la registaro de Hugo Chávez instalis substukturojn ĝis tiam nekonatajn en la plej malriĉaj kvartaloj.

Divisée. Dans la partie ouest de la capitale, où se trouvent les beaux quartiers construits dans les années 1960 et 1970 en plein boom pétrolier, Chávez est détesté. La ville est divisée et l'appartenance politique évolue en fonction du quartier. "C'est normal que certaines personnes ne l'aiment pas, indique Fran Ochoa, haut fonctionnaire municipal. Nous essayons d'inclure les exclus, alors nous prenons un peu de l'ouest de Caracas et le transportons dans l'est. C'est ça l'égalité."

Depuis le milieu des années 1980, le pays est livré à une grave crise économique. L'explosion de sa dette combinée à une baisse des cours du pétrole, vers 1985, a dévasté les finances de l'État. La tentative de renversement menée par l'opposition en 2002 et la grève générale qu'elle a conduite l'année suivante n'ont fait qu'empirer les choses. Le Venezuela affiche aujourd'hui un taux de chômage de 15 % et son produit intérieur brut ne cesse de décroître. "La seule industrie qui croît ici, c'est la corruption", ironise Rafael Lugo, professeur d'économie à l'Université centrale.

Ancien guérillero emprisonné en 1960 par ceux qui sont aujourd'hui dans l'opposition, Rafael Lugo n'a aucune sympathie pour Chávez. "Les missions sont improvisées, dit-il. Chávez n'y croit pas vraiment. Elles servent avant tout à lui assurer des votes dans les couches les plus basses de la société." Et cela fonctionne. Depuis sa première élection, en 1998, Chávez a remporté tous les tests électoraux. La Constitution a ainsi été modifiée lors d'une consultation publique en 2000. Un référendum révocatoire tenu mi-2004 a aussi été remporté par le président. Même si les élections législatives de décembre 2005 furent boycottées par l'opposition sous prétexte de fraude et que seuls 20% de la population a voté, la communauté internationale s'est bien gardée de les dénoncer. Sauf aux États- Unis, où des murmures de protestation se sont fait entendre. Les discours antiimpérialistes du président vénézuelien et son amitié pour Fidel Castro inquiètent au plus haut point Washington.

Ils inquiètent aussi certains Vénézuéliens. "Je ne veux rien savoir de l'influence des gringos, pas plus que de l'influence de Cuba", s'insurge Erwin Lopez, étudiant en histoire. Fatigué de la rhétorique du président et certain que son régime mène à la banqueroute, Erwin a signé en 2003 la pétition de l'opposition réclamant un référendum révocatoire. "Je me rappelle très bien quand je l'ai signée, dit-il. J'ai hésité, non que j'aie douté de la nécessité d'en finir avec Chávez, mais plutôt parce que j'avais peur des conséquences."

Disigita. En la okcidenta parto de la ĉefurbo, kie situas la belaj kvartaloj konstruitaj en la sesdekaj kaj sepdekaj jaroj dum la petrola haŭso, Chávez estas malamata. La urbo estas disigita kaj la politika aneco evoluas laŭ la kvartalo. "Estas normale ke iuj personoj lin ne ŝatas, indikas Fran Ochoa, alta urboficisto. Ni provas inkluzivi la malinkluzivitojn, do ni prenas iom el la okcidento de Karakaso kaj ĝin transportas orienten. Tio estas egaleco."

Depost la mezo de la okdekaj jaroj, la lando suferas gravan ekonomian krizon. La eksplodo de ĝia ŝuldo, kune kun la malaltiĝo de la naftaj kurzoj, ĉirkaŭ 1985, damaĝegis la ŝtatajn financojn. La provo de renverso stirita de la opozicio en 2002 kaj la ĝenerala striko, kiun ĝi kondukis la sekvan jaron, nur malbonigis la situacion. Venezuelon nun trafas senlaborula elcento je 15 % kaj ĝia malneta enlanda produkto senĉese malkreskas. "La ununura industrio, kiu ĉi tie kreskas, estas subaĉetado", ironias Rafael Luego, profesoro pri ekonomio en la Centra Universitato.

Eksa gerilisto enkarcerigita en 1960 de tiuj, kiuj nun estas en la opozicio, Rafael Lugo neniel simpatias kun Chávez. "La misioj estas improvizataj. Al ili Chávez ne vere kredas. Ili utilas ĉefe por certigi al li voĉojn en la plej malaltaj tavoloj de la socio." Kaj tio funkcias. Depost sia unua balota elekto, en 1998, Chávez gajnis ĉiujn balotajn provojn. La konstitucio tiel estis modifita dum publika konsultado en 2000. Iu revoka referendumo okazigita meze de 2004 ankaŭ esti gajnita de la prezidento. Eĉ se la deputitaj balotoj de decembro 2005 estis bojkotitaj de la opozicio pretekste de friponaĵoj kaj se nur 20 % el la loĝantaro voĉdonis, la internacia komunumo sin detenis ilin denunci. Krom en Usono, kie protestaj flustroj laŭtiĝis. La kontraŭ-imperialismaj paroladoj de la venezuela prezidento kaj lia amikeco al Fidel Castro pleje maltrankviligas en Vaŝingtono.

Ili ankaŭ maltrankviligas kelkajn Venezuelanojn. "Mi volas nenion scii pri la influo de la gringoj, nek pri la influo de Kubo", kalcitras Erwin Lopez, studento pri historio. Laca pro la prezidenta retoriko kaj certa, ke lia reĝimo kondukas al bankroto, Erwin subskribis en 2003 la peticion de la opozicio, kiu postulis revokan referendumon. "Mi tre bone memoras kiam mi ĝin subskribis, li diras. Mi hezitis, ne pro tio ke mi dubis pri la nepreco elirigi Chávez, sed pliĝuste ĉar mi timis la sekvojn."

Indélogeable. Gabriel, un étudiant rencontré à l'Université centrale, refuse d'indiquer son nom de famille. "Ne vous trompez pas, vous êtes dans une deuxième Cuba, dit-il. Les choses sont rendues à un point où j'ai peur de parler. Dans l'est de la ville, si quelqu'un m'entendait critiquer le régime, il me battrait."

Les opposants devront être patients : Chávez semble plus que jamais indélogeable. Il contrôle désormais tous les rouages de l'État, du pétrole jusqu'à l'Assemblée nationale. "La position de Chávez n'a jamais été aussi forte depuis 1998, estime Steve Ellner, professeur de sciences politiques à l'université de l'Est. Les récentes victoires de la gauche en Amérique latine lui sont favorables." Et l'ancien militaire devenu président a déjà annoncé qu'il se présentera lors des prochaines élections, en décembre 2006. Des barrios insalubres aux pelouses verdoyantes de l'Université centrale, un mur d'incompréhension divise la société. Et il pourrait tenir encore longtemps, alors que les partis d'opposition n'ont plus la confiance de la population. "Tout ce que Chávez a fait de bien c'est de battre les vieux partis, tous corrompus, dit Rafael Lugo. Maintenant, espérons qu'il tombe avec eux, pour laisser la place au neuf. L'Amérique latine a trop connu de populistes autoritaires. Le temps de la modernité est venu et Chávez est un homme du passé. Qu'il y reste."

Gabriel Béland (CIPUF, Montréal Campus)

Neforigebla. Gabriel, studento renkontita en la Centra Universitato, rifuzas doni sian familian nomon. "Ne eraru, vi estas en iu dua Kubo, li diras. La situacio tiel disvolviĝis, ke mi timas paroli. En la oriento de la urbo, se iu aŭdus min kritiki la reĝimon, li min batus."

La opoziciuloj devos pacienci: Chávez ŝajnas esti neforigebla pli ol iam ajn antaŭe. Li nun kontrolas ĉiujn funkciojn de la Ŝtato, de nafto ĝis la Nacia Asembleo. "La pozicio de Chávez neniam estis tiel forta depost 1998, taksas Steve Ellner, profesoro pri politika scienco en la Orienta Universitato. La freŝdataj venkoj de la maldekstro en Latina Ameriko estas por li favoraj." Kaj la eksa militisto iĝinta prezidento jam anoncis ke li kandidatos por la sekvaj balotoj en decembro 2006. De la malsanigemaj barrios ĝis la verdegaj gazonoj de la Centra Universitato, nekomprena muro disigas la socion. Kaj ĝi povus daŭri ankoraŭ longe, dum la opoziciajn partiojn ne plu fidas la loĝantaro. "Ĉio bona, kion faris Chávez, estis venki la maljunajn partiojn, ĉiujn subaĉetitajn, diras Rafael Lugo. Nun, ni esperu ke li falos kun ili, por lasi lokon al novo. Latina Ameriko spertis tro da ordonemaj popolistoj. La epoko de la moderneco venis kaj Chávez estas homo de la pasinteco. Li tie restu."

Gabriel Béland (CIPUF, Montréal Campus)
Tradukis Emmanuel Villalta

Le CIPUF, Carrefour international de la presse universitaire francophone, réunit de jeunes médias ayant choisi de partager leurs articles, dont Hadès. Ainsi, notre Lettre bilingue français-espéranto vous invite à découvrir un texte rédigé par le journal canadien Montréal Campus à l'occasion du Forum social mondial de Caracas.


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